VANT 
                  de donner le récit des deux sièges de Constantine, 
                  par l'armée française, il est indispensable de 
                  jeter un rapide coup d'œil sur la situation du pays en 
                  1836, et de fournir quelques détails sur les principaux 
                  acteurs dont les noms reviendront souvent sous notre plume. 
                Les matériaux de cette partie de notre 
                  travail d'ensemble, ont été pris dans les ouvrages 
                  suivants, que nous nous dispenserons, en général, 
                  de citer : 
                  Histoire de Constantine sous les beys, par M. Vayssettes. - 
                  Histoire d'Alger, par de Grammont. - Annales Algériennes, 
                  par Pellissier de Reynaud. - Collection de la Revue Africaine 
                  et de la Société Archéologique de Constantine, 
                  contenant de nombreux travaux détachés de Féraud 
                  et autres auteurs. - Récits et Lettres du duc d'Orléans. 
                  - Cirta-Constantine, par Watbled (sur les notes de Berbrugger). 
                  - Histoire d'une Conquête, par C. Rousset. - Journaux 
                  de l'époque et Rapports officiels. - Récit du 
                  Capitaine de la Tour du Pin, (Revue des Deux-Mondes). - Algérie, 
                  par Carette (dans l'Univers pittoresque). - Souvenirs de l'abbé 
                  Suchet. - Correspondance de Saint-Arnaud. - Récit du 
                  caporal Tarissan, et Nous avons utilisé, en outre, un 
                  grand nombre de renseignements recueillis sur place, depuis 
                  24 ans, chez les indigènes, ou trouvés dans des 
                  pièces passées entre nos mains. 
                 El 
                  Hadj Ahmed, fils de l'ancien Khalifa Mohammed, et petit-fils 
                  d'Ahmed bey El Kolli ; avait été nommé 
                  par le dey d'Alger Hosseïn, bey de Constantine, en août 
                  1826. C'était un homme énergique, né dans 
                  cette ville, Koulour'li d'origine, et âgé alors 
                  d'une trentaine d'années. Il y avait rempli, sous de 
                  précédents beys, les fonctions importantes de 
                  Khalifa, sorte de premier ministre, et s'était créé 
                  d'implacables inimitiés; cela, joint à quelques 
                  actes véritablement irréfléchis, avait 
                  motivé son internement à Blida, d'où le 
                  dey venait de le tirer. 
                La rupture d'Alger avec la France, en 1827, 
                  et les difficultés auxquelles Hosseïn eut dès 
                  lors à faire face, laissèrent le champ libre au 
                  nouveau bey de Constantine et il en profita largement, en ayant 
                  soin d'assurer le service des redevances au suzerain et de se 
                  montrer, en toute occasion, un vassal fidèle et dévoué. 
                  Il sévit surtout contre deux puissances le parti turc 
                  et la caste des marabouts trop indépendants. En 1830, 
                  il conduisit une véritable armée à Alger, 
                  et prit une part glorieuse au combat de Staouéli ; mais, 
                  lorsqu'il jugea la partie perdue, il s'empressa de regagner 
                  Constantine. 
                A son arrivée, il trouva les portes 
                  de sa bonne ville fermées, et, pour recouvrer le pouvoir, 
                  se vit forcé d'organiser des contingents kabiles, au 
                  moyen desquels il triompha assez facilement de compétiteurs, 
                  en réalité sans mérite et indignes de lui. 
                  Maître de Constantine et de sa vaste province, il prit 
                  le titre de pacha, arraché à Hosseïn par 
                  la capitulation d'Alger et obtint du sultan la confirmation 
                  platonique de son investiture. Dès lors, El Hadj Ahmed 
                  régna à Constantine en véritable tyran, 
                  et l'on put croire, à distance, qu'il disposait d'une 
                  puissance plus grande qu'elle ne l'était en réalité. 
                Au commencement de 1836, la population, courbée 
                  sous sa violence, venait, pour comble de malheur, de traverser 
                  une horrible épidémie, peste ou choléra, 
                  qui l'avait décimée. Les vieilles familles du 
                  pays et surtout les anciens fonctionnaires turcs, les janissaires, 
                  autrefois maîtres incontestés, maintenant objets 
                  de l'aversion du pacha, avaient été abaissés, 
                  dispersés, et leurs partisans, bien que nombreux, réunis 
                  dans la haine commune du despote, n'osaient rien dire et se 
                  tenaient à l'écart. 
                El Hadj Ahmed ne se faisait pas d'illusion 
                  sur les sentiments réels de la population à son 
                  égard ; mais il tenait ses adversaires écrasés 
                  sous la terreur et avait, comme tout tyran, ses partisans. Les 
                  kabiles constituaient sa principale force ; il les avait appelés 
                  en grand nombre et ils remplissaient la ville d'artisans, et 
                  de soldats, s'attribuant une foule de privilèges. 
                Voici, maintenant, ses principaux fonctionnaires 
                  : 
                 Ali 
                  ben Aïssa était son bras-droit, son alter-ego Kabile, 
                  originaire des Beni-Fergane, Ben Aïssa, chef de la corporation 
                  des forgerons, avait, en 1830, contribué pour une large 
                  part à la reprise de Constantine par le bey ; comme récompense, 
                  celui-ci le nomma bach-hanba (général) et l'employa, 
                  en cette qualité, à combattre et à réduire 
                  ses adversaires. Par son énergie et son goût de 
                  la guerre, Ben Aïssa justifia cette élévation 
                  et vit successivement les plus hautes fonctions lui être 
                  décernées. En 1836, il avait le titre de Khalifa 
                  et disposait d'une autorité sans bornes ; on dit même 
                  qu'il avait été élevé au rang de 
                  bey, puisque son maître s'était érigé 
                  pacha. 
                Ahmed ben El Hamlaoui, d'une famille indigène 
                  de l'intérieur, secondait Ben Aïssa dans le commandement 
                  des troupes. 
                El Hadj Mohammed ben El Bedjaoui, Koulour'li 
                  d'origine, remplissait l'importante fonction de Caïd Ed 
                  Dar, sorte de maire de la ville, mais avec des pouvoirs plus 
                  étendus que ceux que nous attribuons à cette fonction. 
                  Tels étaient les principaux chefs, disposant de l'autorité 
                  publique. A côté d'eux, la puissance religieuse 
                  se trouvait entre les mains de la, famille Ben El Feggoun, dont 
                  l'élévation remontait à l'époque 
                  de l'établissement de la domination turque au XVIe siècle). 
                  Son chef avait le titre de Cheïkh El Islam ; c'était 
                  alors un vieillard, Sid M'hammed, homme prudent, que son caractère 
                  religieux et son grand âge avaient porté à 
                  se tenir à l'écart des passions politiques ; il 
                  avait de nombreux fils, dont un, Hammouda, bien que précédé 
                  par plusieurs fères aimés, était appelé 
                  à jouer un certain rôle à Constantine, sous 
                  notre domination. 
                Quant aux anciennes familles du pays les Ben 
                  Zekri, Ben Namoun, Ben Labiod, Ben Zagouta et autres, et celles 
                  des anciens beys, elles avaient été décimées 
                  et réduites à l'impuissance. 
                Mais les beys de cette province s'étaient 
                  toujours appuyés sur de grands feudataires indigènes, 
                  sans lesquels ils n'auraient pu exercer aucune action dans l'intérieur 
                  et nous devons aussi les mentionner, en raison du rôle 
                  qu'ils sont appelés à jouer. 
                Un des principaux était le Cheïkh 
                  El Arab, grand chef des tribus du Sud et des Hauts-plateaux. 
                  Cette importante fonction était restée, durant 
                  des siècles, dans la famille Bou Aokkaz, le dit Ben Sakheri, 
                  chef traditionnel des arabes Daouaïda du Zab. Mais, à 
                  la suite des révoltes sans cesse réitérées 
                  de ces chefs, Ahmed et Kolli, aïeul d'El Hadj Ahmed, leur 
                  avait suscité des rivaux, les Ben Gana, (vers 1771), 
                  et, depuis lors, cette fonction avait été dévolue, 
                  soit aux uns, soit aux autres. L'élévation de 
                  notre pacha, allié à la famille Ben Gana, lui 
                  avait rendu son autorité, et son chef, Bou Aziz ben Gana, 
                  était alors cheïkh El Arab. 
                Les Ben Sakheri avaient à leur tête 
                  Farhate ben Saïd, homme sans consistance et dont la vie 
                  n'avait été qu'une longue suite d'inconséquences. 
                  Il était devenu nécessairement l'ennemi acharné 
                  d'El Hadj Ahmed et avait soutenu contre lui des guerres qui 
                  s'étaient terminées par des échecs définitifs. 
                  Farhate, entré en relation avec les gouverneurs français 
                  d'Alger, ne cessait de les pousser à attaquer Constantine, 
                  leur promettant le concours de nombreux cavaliers du Sud. 
                Un autre ami dévoué du pacha 
                  était Ahmed bou Aokkaz ben Achour, cheïkh du Ferdjioua, 
                  vrai type de baron. du Moyen-âge, arrivé au pouvoir 
                  par le meurtre et l'usurpation. Il était puissamment 
                  soutenu par ses parents, les Ben Azz ed Dine, du Zouar'a. 
                Enfin, El Hadj Ahmed était allié 
                  à certaines branches des Mokrani de la Medjana et, par 
                  conséquent, avait comme adversaires les branches rivales 
                  de cette famille, si profondément divisée. Les 
                  tribus de l'Est et du Sud-Est de la province, c'est à 
                  dire les groupés désignés sous les noms 
                  génériques de Henanecha et Harakta étaient 
                  eu révolte ouverte contre le pacha. qui n'avait cessé 
                  de les opprimer, en les soumettant au régime de la razia. 
                Telle était la situation du pays en 
                  1836. 
                    
                 
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