VANT 
                    d’entreprendre le récit des événements 
                    historiques dont l’Afrique septentrionale a été 
                    le théâtre, avant de dérouler cette longue 
                    série de guerres et d’invasions qui ont tant 
                    de fois changé la face de ce pays, ruiné ses 
                    villes, et influé de mille manières sur l’existence 
                    de ses habitants, nous allons rapidement esquisser la physionomie 
                    de cette contrée. Nous gravirons ses montagnes; nous 
                    parcourrons ses plaines et ses vallées autrefois si 
                    fertiles, et qui offrent encore à l’industrie 
                    moderne de si grandes ressources; nous indiquerons les différentes 
                    zones de cette riche végétation africaine, ainsi 
                    que les animaux qui s’y trouvent:  
                 
                Nous 
                  constaterons enfin les divers phénomènes de climatologie 
                  qui s’y succèdent, les vents qui y règnent, 
                  la chaleur qu’il y fait, les pluies qui y tombent. Ce 
                  tableau succinct, à l’exécution duquel nous 
                  avons fait concourir les documents les plus authentiques recueillis 
                  par les voyageurs et les savants de l’antiquité 
                  et des temps modernes, donnera dès l’abord une 
                  notion exacte de l’Afrique septentrionale et dégagera 
                  le récit principal de toutes les descriptions de détail 
                  dont il aurait fallu le surcharger. 
                Les 
                  géographes de l’Orient donnaient le nom d’île 
                  Occidentale (Magrab insula) à cet avancement que forment 
                  au nord-ouest, au delà du 30° de latitude nord, les 
                  terres planes de l’Afrique septentrionale(1) . Cette manière 
                  grandiose d’envisager une partie si importante de l’Afrique 
                  est fondée sur la nature même du pays: en effet, 
                  la projection du continent africain entre la Méditerranée, 
                  l’Océan atlantique et le grand désert de 
                  Sahara, lui donne au premier coup d’œil l’aspect 
                  d’une véritable île entourée de toutes 
                  parts d’un océan d’eau et de sable. 
                L’Atlas 
                  n’est pas, comme on le suppose généralement, 
                  et comme l’ont dit les géographes de l’antiquité, 
                  un groupe de montagnes isolé, sans ramifications, c’est 
                  au contraire tout un système de hauteurs qui s’étend 
                  depuis la Méditerranée jusqu’à l’Océan, 
                  et qui détache complètement cette partie septentrionale 
                  de l’Afrique du reste du continent. L’Atlas commence 
                  près des golfes de la grande et de la petite Syrte, d’où 
                  il s’élève peu à peu en vastes plateaux 
                  jusqu’à Tunis. Au nord et au sud, du côté 
                  des plaines unies de Sahara, il se dégrade en plusieurs 
                  chaînes de montagnes basses, mais très escarpées. 
                  A l’ouest, il se précipite dans le pays de Maroc, 
                  jusque dans l’Océan atlantique, et forme, en s’abaissant, 
                  des plaines montueuses, des côtes garnies de rochers et 
                  un grand nombre d’écueils qui rendent si périlleux 
                  les rivages de la Méditerranée, depuis Agadir 
                  jusqu’au détroit de Gibraltar. Mais une circonstance 
                  bien remarquable et qui doit augmenter l’intérêt 
                  qu’offrent ces premières études de la nature 
                  africaine, c’est que cette vaste chaîne de l’Atlas 
                  se trouve intimement liée au système géologique 
                  de notre continent. Les beaux travaux hydrographiques de Smith 
                  ont démontré qu’entre le cap Blanc de Bizerte 
                  et la Sicile, une suite de montagnes sous-marines, trahies par 
                  plusieurs récifs, unissent le royaume de Tunis à 
                  la Sicile, tandis que les sondages exécutés dans 
                  le détroit de Gibraltar ont pleinement constaté 
                  que si ce canal pouvait être mis a sec, on verrait les 
                  chaînes de l’Atlas se rattacher par toute leur structure 
                  à celles de la péninsule ibérique: de telle 
                  sorte qu’il est permis d’avancer que, dans les Ages 
                  antéhistoriques, l’Europe et l’Afrique ne 
                  formaient qu’un seul et même continent. 
                Dans 
                  l’une et dans l’autre, des ravins profonds, de riches 
                  vallées et de beaux pâturages se dessinent sur 
                  le versant des montagnes; on remarque, au delà comme 
                  en deçà de la Méditerranée, la même 
                  disposition du sol, qui s’élève graduellement 
                  en plateaux superposés au-dessus du niveau de la côte; 
                  dans les deux pays, l’encaissement de la plupart des rivières 
                  entre de hautes berges et le dessèchement périodique 
                  de leurs eaux, offrent de nouveaux traits de ressemblance non 
                  moins caractéristiques; nous mentionnerons encore ce 
                  fait constaté par des géographes célèbres, 
                  c’est que la hauteur des cônes les plus élevés 
                  de l’Atlas correspond parfaitement aux montagnes neigeuses 
                  de la Sierra Nevada, situées vis-à-vis dans l’Andalousie 
                  et le royaume de Grenade: les deux systèmes ne diffèrent 
                  que dans leurs dépressions. Le plateau d’Espagne 
                  a sa principale pente dans les vastes plaines de l’ouest 
                  vers l’Océan atlantique; du côté de 
                  la Méditerranée elle est beaucoup moins prolongée 
                  et plus escarpée. En Barbarie, au contraire, les grandes 
                  plaines de la principale dépression du plateau se dirigent, 
                  à l’est, vers la Méditerranée; celles 
                  qui vont joindre l’Océan sont beaucoup plus abruptes. 
                (1) 
                  (Ainsi que le fait remarquer Malte-Brun, dans sa savante Histoire 
                  de la Géographie, l’Afrique était fort mal 
                  appréciée des Grecs et des Romains. Homère 
                  connaissait la Libye, " pays, dit-il, où les agneaux 
                  naissent avec des cornes, ou les brebis mettent bas trois fois 
                  “ par an ” (Odyssée, liv. IV) — Il 
                  est impossible de tirer du texte d’Hérodote un 
                  ensemble clair et précis de ses idées sur l’Afrique 
                  occidentale. — La description de cette partie de l’Afrique, 
                  chez Strabon, prouve bien que les connaissances de son temps 
                  atteignirent à peine les bords du Niger. Il dit, il affirme, 
                  il répète que l’Afrique se termine par des 
                  déserts, soit qu’on suive les côtes sur l’Océan, 
                  soit qu’on pénètre vers l’intérieur, 
                  et que les Romains en possèdent à peu prés 
                  toutes les parties qui ne sont pas désertes ou inhabitables. 
                  — Les Romains, du temps de Pline, ne connaissaient que 
                  le tiers de l’Afrique, et le savant naturaliste lui-même 
                  possède des notions si imparfaites sur cette partie du 
                  monde, qu’il place les sources du Nil dans les montagnes 
                  de la Mauritanie. — Dans un ouvrage aussi concis que cette 
                  histoire, nous avons dû mettre de côté toutes 
                  ces fables, toutes ces assertions hasardées, pour arriver 
                  de suite aux géographes et aux voyageurs modernes, dont 
                  les travaux positifs sont à l’abri de toute critique. 
                  Pour d’autres parties, la géographie ancienne nous 
                  offrira des documents irrécusables.).  
                    
                 |