LGER a la forme d’un triangle dont la base repose dans le mer, clouée à l’est par la porte de Bab-Azoun, et à l’ouest par la porte de Bab-el-Oued. Le sommet se couronne de l’imposante masse de bâtiments qui porte le nom de Casbah. Entre la porte de Bab-Azoun, qui s’ouvre sur les riants coteaux de Mustapha, et la porte Bab-el-Oued, qui est défendue par le fort des vingt-quatre heures, s’avance une jetée dominée à son extrémité par le phare. C’est là l’entrée du port, étroit espace mal défendu contre les vents d’est.

A mesure que l’on approche, l’aspect de la cité devient éblouissant. L’œil a peine à reconnaître une ville dans cette agglomération de bâtiments sans toits et presque sans fenêtres, d’un blanc mat, quelquefois légèrement doré, d’où s’élancent de hauts cyprès, d’immenses platanes, et surtout des figuiers dont le feuillage dessine brusquement ses noirs massifs sur le front pâle de la ville maure.

De chaque côté s’élève le Sahel, large plateau qui sépare la Méditerranée de la plaine de Mitidja. Sa surface, creusée çà et là de nombreuses vallées, ou sillonnées d’anfractuosités profondes, est couverte de fraîches et blanches habitations qu’ombragent des arbres magnifiques ; c’est dans une de ces délicieuses demeures, sur le coteau de Mustapha, que Cervantès subit cette captivité si riche en inspirations, qui produisit Don Quichotte.

Ces collines verdoyantes s’avancent comme les cornes d’un croissant, à l’est jusqu’au cap Matifou, à l’ouest jusqu’au promontoire de Sidi-Feruch. Au-dessus se détachent les sommets de l’Atlas, qui confondent et perdent leurs contours bleus dans le fond bleu du ciel.

Bientôt nous distinguons les navires qui couvrent la rade ; tous ont hissé leurs pavillons, pavoisé leurs mâts ; des nuées de mousses pendent aux gréements et agitent leurs chapeaux de paille.

Le bâtiment court ; il est au port : l’amiral Bougainville vient recevoir le prince dans le canot royal, au milieu du hourra des navires et du salut retentissant des forts ; il le conduit à terre sous la voûte de la Marine.

Le maréchal Valée, accompagné de l’état-major de la colonie et de l’armée, dans lequel on distingue le colonel de Salles, gendre du gouverneur, embrasse le prince royal. Le cortège suit la rue de la Marine, presque entièrement reconstruite par les Français, traverse la place du Gouvernement en laissant à gauche la seule mosquée monumentale d’Alger, et puis descend sous une voûte sombre de l’ancien palais du dey, qui conduit par des ruelles obscures, étroites et d’un accès difficile, à la résidence du maréchal gouverneur où des appartements sont préparés pour le prince.

Le cortège s’avance lentement, et, par intervalles, assez difficilement, à travers une multitude presque impénétrable. Sur tout son chemin se presse une population immense, contenue, non sans peine, avec douceur, par les admirables troupes de la garnison ; elle accourt de tous le points, elle encombre toutes les rues, elle s’entasse à toutes les fenêtres, elle couvre toutes les terrasses. Les ondulations de la foule, le mouvement des soldats, le piétinement des chevaux, soulèvent des nuages, ou, si l’on peut s’exprimer ainsi, une atmosphère de poussière ; il semble voir une mer tumultueuse soulevée par la tempête ; on croit en entendre les bruits ; les cris de réjouissance se mêlent au retentissement des salves d’artillerie, et complètent cette fête d’Afrique éclairée par le soleil de midi.

Le palais du gouverneur ne répond pas mieux d’abord que la plupart des palais d’Orient à la splendeur de son nom ; mais l’apparence de son extérieur, modeste jusqu’à la simplicité, ne sert qu’à relever, par un contraste piquant, l’éclat intérieur de ce beau séjour. On parcourt en entrant une longue galerie, dont la voûte est sculptée d’arabesques et le pavé couvert de mosaïques ; quelques degrés en marbre conduisent ensuite à une cour carrée, décorée de péristyles superposés, qui forment les trois étages de la maison. Des colonnes de marbre blanc, entourées de baguettes en spirale, et couronnées de riches chapiteaux composites peints et dorés, supportent des arcs élégants ; dans les étages supérieurs, les colonnes sont unies entre elles, jusqu’au tiers de leur hauteur, par des rampes en bois tourné, remarquables par la délicatesse du travail. Chaque colonne est surmontée d’un pilastre en faïence. Au dessus de l’entablement règne une frise, également en faïence, qui forme, en courant sur les arcs, l’ensemble le plus agréable aux yeux.

La cour est bordée de plantes grasses, d’arbustes variés, de fleurs odoriférantes, qui mêlent leurs couleurs et leurs parfums ; au milieu, une fontaine élégante lance un jet d’eau continu qui retombe en pluie sur une corbeille de fleurs, dont son bassin est le centre.

Le pavé, les murailles jusqu’à la hauteur de cinq pieds, les marches, des escaliers sont revêtus de faïences émaillées ; les parois sont blanchies à la chaux.

Chaque étage est composé de quatre galeries à jour. Dans chacune d’elles de vaste portes s’ouvrent sur de longues pièces dont les fenêtres prennent le jour sur la cour ; des divans couverts de brocards règnent partout; des glaces de Venise, des meubles anciens, quelques meubles modernes placés çà et là, forment une décoration incomplète et peu commode, mais d’un effet pittoresque et piquant. Une vela plonge la cour dans une ombre transparente et douce, en interceptant les rayons du soleil sans diminuer sensiblement la lumière.